Poèmes Et Sylves Jean Moréas PELER. PASSION. 1886-90 AGNES P9 Agnès Il y avait des arcs où passaient des escortes Avec des bannières de deuil et du fer Lacé, des potentats de toutes sortes -il y avait-dans la cité au bord de la mer. Les places étaient noires et bien pavées, et les Portes, Du côté de l' est et de l' ouest, hautes ; et comme en Hiver La forêt, dépérissaient les salles de palais, et les Porches, Et les colonnades de belvéder. C' était (tu dois bien t' en souvenir), c' était Aux plus beaux jours de ton adolescence. P10 Dans la cité au bord de la mer, la cape et la dague Lourdes De pierres jaunes, et sur ton chapeau des plumes de Perroquets, Tu t' en venais, devisant telles bourdes, Tu t' en venais entre tes deux laquais Si bouffis et tant sots-en vérité, des Happelourdes ! - Dans la cité au bord de la mer tu t' en venais et tu Vaguais Parmi de grands vieillards qui travaillent aux Felouques, Le long des môles et des quais. C' était (tu dois bien t' en souvenir), c' était Aux plus beaux jours de ton adolescence. Devant ta tante madame la prieure, Que tu sentisses quelque effroi Lorsque parlait d' excommunication majeure Le vieux évêque en robe d' orfroi, - Tu partais, même à l' encontre du temps et de l' heure, Avec Hans, Gull, Salluste et Godefroy, Courir la bague, pour amuser la veuve Aux yeux couleur de roy. C' était (tu dois bien t' en souvenir), c' était Aux plus beaux jours de ton adolescence. P11 Bien assise était la demeure, et certe Il pendait des filigranes du perron ; Et le verger fut grand où hantait la calandre diserte. Et quant à la dame, elle avait ce geste prompt, Ce " ce me plaît " qui déconcerte ; Et quant à la dame, elle avait environ Septante et sept saphirs avec un cercle De couronne à son front. C' était (tu dois bien t' en souvenir), c' était La plus noble dame de la cité. Certes les fleurs florirent, et le dictame Florit au verger qui fut grand, en effet ; Toute fleur florit au verger, et quant à la dame, Son penal d' arroi fut fait De ces riches draps que rien n' entame, Et ses cavales étaient vénètes, et l' on pouvait En compter cent, et nulle bête qui soit en mer ni En bocage Qui ne fût à fin or portraite sur son chevet. C' était (tu dois bien t' en souvenir), c' était La plus noble dame de la cité. P12 Claire était la face de la dame, telle la fine pointe Du jour, et ses yeux étaient cieux marins ; Claire était la face de la dame et de parfums ointe. Claire était la face de la dame, et plus que purpurins Fruits, fraîche était la bouche jointe De la dame. Et pour ses crins Recercelés, ne fussent les entraves d' ivoire, Eussent encourtiné ses reins. C' était (tu dois bien t' en souvenir), c' était La plus belle dame de la cité. Cieux marins étaient les yeux de la dame et lacs Que rehausse La sertissure des neiges, et calice ce pendant Qu' il éclôt, était sa bouche ; et ni la blonde Isex, Ni la fausse Cressida, ni Hélène pour qui tant De barons descendirent dans la fosse ; Ni Florimel la fée, et ni l' ondine armée de son Trident, Ni aucune mortelle ou déesse, telle beauté en sa Force Ne montrèrent, de l' aurore à l' occident. C' était (tu dois bien t' en souvenir), c' était La plus belle dame de la cité. P13 " soeur douce amie " , lui disais-tu, " douce amie, Les étoiles peuvent s' obscurcir et les amarantes Avoir été Que ma raison ne cessera mie De radoter de votre beauté ; Car Cupidon ravive sa torche endormie À vos yeux, à leur clarté, Et votre regarder " , lui disais-tu, " est seul mire De mon coeur attramenté. " C' était (tu dois bien t' en souvenir), c' était Par un soir de la mi-automne. " vos cheveux traînent jusqu' en bas et nimbent votre Face, Et vos sourires sont les duègnes de votre vertu ; Ah ! Prenons garde que notre âme ne se fasse Putain, madame " , lui disais-tu. " vos cheveux traînent, et vos yeux portent d' azur à La fasce D' or, et votre corps est de lys vêtu ; Ah ! Prenons garde que notre désir ne se farde Pareil à quelque gnome tortu. " C' était (tu dois bien t' en souvenir), c' était Par un soir de la mi-automne. P14 " soeur douce amie " , lui disais-tu, " mon coeur est Moire D' eaux claires sous les midis. Madame " , lui disais-tu, " mon coeur est grimoire Tout couvert de signes maudits ; Et je vous eusse cédée pour mille besants et voire Pour quelques maravédis. Soeur douce amie " , lui disais-tu, " pieux cloître Est mon coeur, et sainte fleur en paradis. " C' était (tu dois bien t' en souvenir), c' était Par un soir de la mi-automne. PELER. PASSION. - LE DIT... P17 Le dit d' un chevalier qui se souvient Joël est dans sa tour assis, Sa tour et sa tourelle. C' est quand dans les bois épaissis La feuille renouvelle. Pour lui il n' est mai ni printemps, Il n' est philtre ni baume, Euh, las ! Car il aura cent ans, Vienne la Saint-Pacôme. A-t-il fait joutes et bouhour, A-t-il suivi la guerre ! Mais que, surtout, du mal d' amour Son coeur n' en avait guère ! P18 Coeur fol, coeur en souci ! Serment De femme, écueil au havre ! Gentil amour, plus durement Que tous gens d' armes, navre. Voeux liés, déliés, lien Loyal qu' il soit, qu' il mente, Ah, maille, maille ! Au mal, au bien, Quand vient la mort charmante, La souvenance va musant. - Le jeu plaisant ! Et c' est ainsi que, sans douloir, Joël se remémore Madame Emelos, gente à voir, Qui s' est livrée au More. Puis c' est Esmérée, Anne, Snor, Viviane, Junie, Mab, et la reine Aliénor, Comme rose épanie. C' est Fanette, au visage clair, Qu' un goujat rendit mère ; P19 Et dans sa gonelle de fer, Pareille à la chimère, La châtelaine d' Yverdun Qui avait nom Briande ; Pour elle il a fendu plus d' un Écu à large bande. Laquelle encore ? (qui l' eût dit ! ) Sanche aux façons hautaines, Qu' il a surprise dans son lit Avec trois capitaines ; Alalète, au chef reluisant. - Le jeu est plaisant ! La bouche folâtre à dessein, Grêle parmi les hanches ; Sous le siglaton fin son sein ; Neige qui sied aux branches, Neige sur la forêt d' hiver, Fleur de la neuve épine : Ses flancs sous la pourpre et le vair A riche sébeline. Beaux semblants et doux accoler, P20 Plus que fruit de maraude, C' est Aude, encline à s' accoupler Ainsi qu' une chienne chaude. Pour elle il eût les dés faussé, Comm' pipeur détestable ; Pour elle il eût chevaux pansé, Et mules, à l' étable. Pour elle il s' est parjuré ; bref, N' étant plus guère riche Ou d' or monnayé, ou de fief, Avec le duc d' Autriche, Par la Flandre il s' en fut gueusant. - Le jeu est plaisant ! PEL. PAS., AUTANT EN..., EPIT. P23 Épitre Et votre chevelure comme des grappes d' ombres, Et ses bandelettes à vos tempes, Et la kabbale de vos yeux latents, - Madeline-aux-serpents, Madeline. Madeline, Madeline, Pourquoi vos lèvres à mon cou, ah, pourquoi Vos lèvres entre les coups de hache du roi ! Madeline, et les cordaces et les flûtes, Les flûtes, les pas d' amour, les flûtes, vous les Voulûtes P24 Hélas ! Madeline, la fête, Madeline, Ne berce plus les flots au bord de l' île, Et mes bouffons ne crèvent plus des cerceaux Au bord de l' île, pauvres bouffons, Pauvres bouffons que couronne la sauge ! Et mes litières s' effeuillent aux ornières, Toutes mes litières à grands pans De nonchaloir, Madeline-aux-serpents. PEL. PAS., AUTANT..., INVEST. P25 L' investiture Nous longerons la grille du parc, À l' heure où la Grande Ourse décline ; Et tu porteras-car je le veux- Parmi les bandeaux de tes cheveux La fleur nommée asphodèle. Tes yeux regarderont mes yeux, - À l' heure où la grande Ourse décline. Et mes yeux auront la couleur De la fleur nommée asphodèle. P26 Tes yeux regarderont mes yeux, Et vacillera tout ton être, Comme le mythique rocher Vacillait, dit-on, au toucher De la fleur nommée asphodèle. PEL. PAS., AUTANT..., CHANSON P27 Les courlis dans les roseaux ! (faut-il que je vous en parle, Des courlis dans les roseaux ? ) Ô vous joli' fée des eaux. Le porcher et les pourceaux ! (faut-il que je vous en parle, Du porcher et des pourceaux ? ) Ô vous joli' fée des eaux. P28 Mon coeur pris en vos réseaux ! (faut-il que je vous en parle, De mon coeur en vos réseaux ? ) Ô vous joli' Fée des eaux. PEL. PAS., AUTANT..., CHANSON P29 On a marché sur les fleurs au bord de la route, Et le vent d' automne les secoue si fort, en outre. La malle-poste a renversé la vieille croix au bord De la route, Elle était vraiment si pourrie, en outre. L' idiot (tu sais) est mort au bord de la route, Et personne ne le pleurera, en outre. PEL. PAS., AUTANT..., CHANSON P31 Vous, avec vos yeux, avec tes yeux, Dans la bastille que tu hantes ! Celui qui dormait s' est éveillé Au tocsin des heures beuglantes. Il prendra sans doute Son bâton de route Dans ses mains aux paumes sanglantes. Il ira, du tournoi au combat, À la défaite réciproque ; Qu' il fende heaumes beaux et si clairs, Son pennon, qu' il ventèle, est loque ! Le haubert qui lace Sa poitrine lasse, Si léger ! Il fait qu' il suffoque. P32 Ah, que de tes jeux, que de tes pleurs Aux rémissions tu l' exhortes, Ah laisse ! Tout l' orage a passé Sur les lys, sur les roses fortes. Comme un feu de flamme Ton âme et son âme, Toutes deux vos âmes sont mortes. PEL. PAS., AUTANT..., CHOEUR P33 Hors des cercles que de ton regard tu surplombes, Démon concept, tu t' ériges et tu suspends Les males heures à ta robe, dont les pans Errent au prime ciel comme un vol de colombes. Toi, pour qui sur l' autel fument en hécatombes Les lourds désirs plus cornus que des égipans, Électuaire sûr aux bouches des serpents, Et rite apotropée à la fureur des trombes ; P34 Toi, sistre et plectre d' or, et médiation, Et seul arbre debout dans l' aride vallée, Ô démon, prends pitié de ma contrition ; Éblouis-moi de ta tiare constellée, Et porte en mon esprit la résignation, Et la sérénité en mon âme troublée. PEL. PAS., AUTANT..., 1 JNE F. P35 Une jeune fille parle Les fenouils m' ont dit : il t' aime si Follement qu' il est à ta merci ; Pour son revenir va t' apprêter. -les fenouils ne savent que flatter ! Dieu ait pitié de mon âme. Les pâquerettes m' ont dit : pourquoi Avoir remis ta foi dans sa foi ? Son coeur est tanné comme un soudard. -pâquerettes, vous parlez trop tard ! Dieu ait pitié de mon âme. P36 Les sauges m' ont dit : ne l' attends pas, Il s' est endormi dans d' autres bras. -ô sauges, tristes sauges, je veux Vous tresser toutes dans mes cheveux... Dieu ait pitié de mon âme. PEL. PAS., AUTANT..., HIST.TE P37 Historiette De sa hache-ah qu' il est las- Le chevalier aux blanches armes. À coups de hache Rompre des casques-ah qu' il est las- Le chevalier aux blanches armes. Et de la jolie fille de Perth, P38 Et de Béatrix et de Berthe, Et des robes à bordures de perles Et des cheveux sur le cou-ah qu' il est las- Et des bras autour du cou-ah qu' il est las- Le chevalier aux blanches armes. De mourir-ah qu' il est las- Le chevalier aux blanches armes. PEL. PAS., AUTANT..., JUD. C. P39 Le judicieux conseil Pourquoi cette rage, Ô ma chair, tu ne rêves Que de carnage De baisers ! Mon âme te regarde, En tes joutes, hagarde ; Mon âme ne veut pas De ces folâtres pas. P40 Aussi, parmi cette flamme, Que venez-vous faire, Ô mon âme ! Ah, laissez Vos bouquets d' ancolie, Et faites de façon Que l' on vous oublie. PEL. PAS., AUTANT..., PARODIE P41 Ha, que l' on lève incontinent les caducées Sur mon coeur. Et c' est assez de ces familiers Crève-coeur ; et je m' en vais mettre des colliers Et des rubans aux boucs qui hantent mes pensées. Et c' est assez, ô mon coeur, de ces traversées Risibles. Et soyons les dévots cavaliers ; Et soyons le palais aux joyeux escaliers ; Soyons les danses qui veulent être dansées. P42 Soyons les cavaliers cruels. Soyons encor La farce espagnole : les dagues, les dentelles, La duègne, le tuteur et le corrégidor, Et Don Garcie, et leurs cautèles mutuelles. -puis, viens, et que nous chantions, sur la harpe D' or. L' azur et la candeur, et les amours fidèles. PEL. PAS., AUTANT..., A JEANNE P43 Ah, rions un peu pendant que l' heure Le souffre ; Ah, rions sur le bord Du gouffre. Oh, si bon il est de rire, Quand on pense ; Que nos coeurs loyaux n' auront point Leur récompense. P44 Si j' avais toujours Votre front proche, Je serais sans peur Et sans reproche. Mais loin de vos yeux Je m' assimile Au fou qui combat Contre mille. PEL. PAS., ETREN. DE DOULCE, I P47 Ses yeux parmi Ses joues, ses lèvres de couleur, Ses yeux sont comme fleur De violette au bouquet joli. Et son sourire Et son franc dire Enchantent le mal qui me veut occire, Mieux qu' en avril ni mai Gentil oiseau Du bois ramé Ne berce somme De pastoureau : C' est pourquoi Doulce je la nomme. P48 Ni le nom de Mélusine Pourtant, Ni le nom d' Argentine Ou de la comtesse de Flassand Ni celui plus fameux de la reine Qui mourut d' aimer, Ne valent pour la nommer Le nom qu' elle tient de sa marraine Nom qui m' êtes courtois échanson De loyal heur, en ma chanson, Las, faudra-t-il toujours vous taire ! Ô doux nom si gracieux, Qui faites pleurer mes yeux Quand ma bouche vous profère. PEL. PAS., ETREN. DOULCE, II P49 Je suis le guerrier qui taille À grands coups d' épée dans la bataille ; Son oeil est clair et son bras prompt à férir. Hélas ! Il va mourir ; Car sous la dure maille Par un trou hideux goutte à goutte Fuit tout son sang et sa vie toute. Je suis le pauvre chevalier qui vendit son âme Au diable-honte et diffame- Pour de l' or pipé sitôt. P50 Vous qui semblable à la vierge Marie M' êtes apparue, ô dame au coeur haut, Dame à l' âme fleurie, Du toucher de votre main pure Guérissez ma blessure, Et que vos doux yeux Me rachètent les cieux. PEL. PAS., ETREN. DOULCE, III P51 Ombre de casemate Que roussit un vestige de falots, Lacs sereins, frondants coteaux Au déclin du char d' Hécate, Corbeaux Amis des gibets : noirs cheveux qui raffolez De pierreries, Vous n' êtes pas les cheveux de ma dame. Ils ne sont pas non plus, ses cheveux, fin Or. Aurores, Bel Arcturus, fulves couchants, Sur les champs Javelles, votre orgueil m' est vain Et vaines vos métaphores. P52 Fragrante cargaison de nefs D' Arabie, mais qu' ils me sont soëfs Les nobles cheveux châtains de ma dame, Soit que sa main les apprête En bandeaux modestes sur sa tête, Soit qu' ils l' encourtinent déliés, quand amène Elle se fait à ma peine. PEL. PAS., ETREN. DOULCE, IV P53 Pour couronner ta tête, je voudrais Des fleurs que personne ne nomma jamais. Lavande, marjolaine, hélianthème, Et la rose que le luth vanta, Et le lis sans tache que Perdita Souhaitait pour le prince de Bohême ; L' oeillet, la primevère, les iris, Et tous les trésors de Chloris : Gerbe seraient pauvre et défaite Pour couronner ta tête. PEL. PAS., ETREN. DOULCE, V P54 J' ai tellement soif, ô mon amour, de ta bouche Que j' y boirais en baisers le cours détourné Du Strymon, l' Araxe et le Tanaïs farouche ; Et les cents méandres qui arrosent Pitané, Et l' Hermus qui prend sa source où le soleil se Couche, Et toutes les claires fontaines dont abonde Gaza, Sans que ma soif s' en apaisât. PEL. PAS., ETREN. DOULCE, VI P55 Parce que du mal et du pire Mon âme absout tous les méchants, Et que sur ma lèvre respire Orphéus, prince des doux chants, Qu' au jardin de ma chevelure S' ébattent les ris et les jeux, Que se lève le Dioscure Dans la prunelle de mes yeux ; D' autres ont pu me croire : fête Saoûle de drapeaux épanis, Et clairons sonnant la défaite De l' indéfectible Erinnys ; P56 Mais toi, sororale, toi sûre Amante au grand coeur dévoilé, Tu sus connaître la blessure D' où mon sang à flots a coulé. PEL. PAS., ETREN. DOULCE, VII P57 Certe, il ne sut une autre toi Le roi Qui dit la femme plus amère que la mort. Car, de vos lèvres pressées, Vous êtes toutes douceurs, amour, Jusqu' à vos lèvres courroucées. P58 Et, n' êtes-vous Pas, aussi, le doux Mois de Marie, si Votre regard fait fleurie Mon âme aux pâles couleurs ! PEL. PAS., ETREN. DOULCE, VIII P59 Tes yeux sereins comme le calme Sur les flots de la mer, Me disent : nous serons La palme Sur ton sommeil amer, Nous verserons Dans ton coeur en péché -me disent- La paix et l' équité. Tes yeux me disent : Pauvre âme aux pieds meurtris Sur les mauvais chemins, Tes lendemains P60 S' ils s' égaraient encore ! ... De tes couchers honnis Nous serons l' alme aurore. En nous c' est la fontaine Bénigne du pardon, Nous vous serons l' antienne Et le bourdon, Pauvre âme en dure peine, - Disent tes jeux. PEL. PASS., JONCHEE, DISCOURS P63 Du barat d' or affronteur, Son diffame l' un apprête ; Et de laurier imposteur, Que l' hiver outrageux guette, L' autre couronne sa tête. De brigue point n' ai souci, Ou de menteur faste, si, Mon pouce, alerte tu mêles Dessus les cordes jumelles, Narguant envie et tous sots, Les parlantes philomèles Au susurre des ruisseaux. P64 Ô qui, sur le double mont, D' un miel attique la coupe Levez, dont la voix semond Les buccins à riche houppe, Nymphes, gracieuse troupe, À l' ignorant mal-appris, Qui clos tenez vos pourpris, Mon heureuse fureur-née Sous vos lois fut ordonnée Vers les assurés travaux, Comme d' un frein est menée L' ardeur des jeunes chevaux. Aganippides, aux doux Airs, dont la harpe se vante, Nouvelle encore, par vous Mon âme se sut savante ; Pour que, maintenant, j' invente Un art bien élaboré Et du vulgaire abhorré, P65 C' est votre haleine fertile, Sacrant ma bouche inutile, Qui fait qu' indigne je sais, De gentil son et haut style, Hausser le nombre français. PEL. PAS., JONCHEE, ELEG. 1ERE P67 Élégie première Ce ne fut quand des Pléiades le déclin pluvieux Moleste le bois dénu. Alors zéphire éventait les jeux Des grâces ; alors des linots tintait le sermon Menu ; Et l' épice, alors, abondait, et la rosée, soulas Des jardins, lorsque ainsi tu parlas : " j' ai vu fuir et passer le temps qui nous devance, Tel un cerf que jamais aucun chasseur ne joint. J' ai vu nos fleurs d' hier, printemps plein D' inconstance, Et l' hiver et l' été, comme en un même point. P68 " ô pauvre bien-aimé, tout cet augure double S' est réflété dans moi, mieux qu' au clair d' un Miroir ; Voici la trêve, et si quelque chose me trouble, C' est la pitié que j' ai de ton vain désespoir. " laissons au coeur moins docte oser encor prétendre, Et d' un vueil à cela mettre la vanité. Car ne le sais-tu pas ! Et que saurons-nous prendre À cette ombre dissoute avant d' avoir été ? " PEL. PAS., JONCHEE, ELEG. 2E P69 Élégie deuxième Plus durement que trait turquois, Amour, plaisant doux archer, blesse Rustiques garçons et grands rois. Par telle langueur et faiblesse, Dieu oublia et diffame eut David qui haïssait mollesse. Semblablement l' autre qui fut Salomon, si très sage augure, De grand renom piteux déchut. P70 Bouche feinte et feinte figure, Yeux bénins aux gracieux lacs, Honte cèlent et mal' mort dure : Agamemnon n' en eut soulas, Aussi la forcenée Hélène Le fit voir au duc Ménélas. Achille servit Polyxène ; Chez la lydienne Herculus Fila quenouillette aime-laine. De Stratonice, Séleucus Souffrit empire et vasselage, De Chryséïde, Troïlus. Au gré d' un coloré visage, N' écouta les buccins retors Antoine, preux trop plus que sage. P71 Et tout docte, en nonchaloir fors De sa Faustine, Marc-Aurèle Vit de cendre ses lauriers ords. Ainsi, en la bailli' de celle Dont les cheveux passent l' or fin, (las ! Qui m' est félonne et cruelle), Je cuide le permesse vain, Et mon souffle n' a véhémence D' animer le roseau divin Qui clamait mon nom par la France. PEL. PAS., JONCHEE, ELEG. 3E P73 Élégie troisième Psyché, mon âme. Edgar Poe. C' était comme le champ de Pharsale : des blessés Hideux Mouraient sur le bord des fossés ; - Là, où nous revînmes tous deux, Avec Psyché, mon âme. Et je lui dis " n' est-ce pas ? " et je lui dis " ces arcs comme ils s' écroulent, et ces butins quels Oripeaux ! Ah, maudites étaient nos armes, et maudits Nos drapeaux, Psyché, mon âme ! " P74 C' était comme un purgatoire, où des ombres aux abois Levaient des fronts honteux, Et se tordaient les doigts : - Là, où nous revînmes tous deux, Avec Psyché, mon âme. Et je lui dis " n' est-ce pas ? " et je lui dis " ah, ces damnés que chasse le regret, En fleurs bénignes de paradis Qui jamais les mettrait, Psyché, mon âme ! " PELERIN PAS., JONCHEE, CARTEL P75 Je dis à amour, mon ennemi : toi qui oses, page Menu, prétendre sur moi quelque avantage, Regarde le cimier que sur mon casque font Bel-accueil aux vertes couleurs, et beau-parler, Et l' oeilladé présage Des dames belles, qui débonnaires me sont. Je dis à Amour, mon ennemi : ne vois-tu point Orgueil gorgias mes brassards garnir à point, Cuissards et tassette, et jusques à mon soleret qui Point De gai courage ; et cet épieu que témérité En ma dextre a enté ! P76 À rompre lances, armure mal opportune, (amour me dit) Je n' ai que faux-semblants, mais ce sont d' une Qui souvent couard te rendit. PEL. PAS., JONCHEE, PASSE-TPS P77 Passe-temps Blanc satin neuf, oeuf de couvée fraîche, Neige qui ne fond, Que vos tétins, l' un à l' autre revêche, Si tant clairs ne sont. Chapelets de fine émeraude, ophites, Ambre coscoté, Semblables aux yeux dont soulas me fîtes, Onques n' ont été. P78 Votre crêpe chef le soleil efface, Et votre couleur Fait se dépiter la cerise, et passe La rose en sa fleur. Joncade, coings farcis de frite crème, Pâté, tarte (ô vous ! ), Que vos gras baisers, voire de carême, Ne sont pas plus doux. PEL. PAS., JONCHEE, CONTRE JU. P79 Contre Juliette Pour vous garder de mal empire, Pennon d' amour et gonfalon, Je vous donnai ma chevelure Couleur des flots sous l' aquilon. Boucliers aux tendres devises, Écus de pleine loyauté, Je vous donnai mes fiers yeux contre Votre propre vulgarité. P80 Coupe de mélodie et baume, Afin de vous extasier Je vous donnai ma bouche vive, Telles les roses au rosier. Dames d' atour et chambrières Attentives à votre arroi, Je vous donnai mes mains plus nobles Que la couronne au front d' un roi. Et je vous donnai-ho ! Prodigue- Et je vous donnai par monceaux, Tous les trésors de ma pensée Comme des perles aux pourceaux. PEL. PAS., JONCHEE, MON MAL... P81 Mon mal j' enchante Toi, mauvais oeil, ou stellaire Malignité, toujours de travers sonnée heure, ou qui Que tu sois, Être vilain, çà, tu me veux encore malfaire. Ne viens-tu pas, avec ta bouche d' autrefois, Bruire et siffler ton antienne ? Ne vas-tu pas, à l' allégresse de mes doigts Mêler ton geste, afin que je me ressouvienne ! P82 Depuis les jours, depuis ces jours on m' a tenu Plus sûrement sur les fonds Aganippiques, ô gnome, Et tu pourras savoir par le menu Si j' ai l' âme gaillarde, et pour quel on me nomme ; Car, même dans ta nuit, même battu à tes autans, D' un gracieux délire : Je dirai le soleil levé, et le printemps, Sur la plus haute corde de la lyre. PEL. PAS., JONCHEE, LE TROPHEE P83 Mirage coloré, fragrance De jeunes jardins, et de carrefour rance ; Doux frôler susurré comme d' une source, Râper anxieux comme d' une étoffe rebourse : Il est un monstre. Ô toi, ô toi, ton âge le connut Alors que fleur il eut, Et jusqu' au seuil de son automne empressé. P84 Ah toi, bénie qu' elle soit, la tutélaire voix Qui terrassé le fit sur les pavois Bruissant à ta fortune. Car n' es-tu pas celui pour qui ores en vain Saturne vente à la poupe, Et qui peut, s' il le veut, goûter l' instant frivole Comme un vin Qui rit dedans la coupe ! PEL. PAS., ALL. P., EG. AEMIL. P87 Églogue à Aemilius Alors que j' étais, ô Aemilius, le nouveau Temps et la feuille de primerole, Que mon âge allait plus éclairci que l' eau De la source matutinale en sa rigole De gravier : devis ni son, Fredons comme de tourtres et passes, N' envolaient de ma bouche aimée des Grâces, Mais soupirer et complainte et tenson. P88 Ô Aemilius, pourquoi, sur l' agreste flûte, ai-je Dit l' automne maligne et le cortège Des pluies, alors que Flora versait Beau-riante l' étrenne de sa corbeille, Et, d' un tortis, Cyprine mes boucles pressait, Ô Aemilius, et la barbe, à peine, entour l' oreille Me naissait ? L' été, maintenant, ronge l' ombre de mes pas ; La mi-été, maintenant, boit la rosée. Ah ! N' est-il Pas Levé, l' astre qui fait s' ouvrir la fleur tardive Du safran ! Aemilius, Aemilius, voici bruire L' heure au roseau que mon souffle avive, L' heure de lamenter. Ore je vous vais dire : La folâtre Amarylle, et le joyeux Tityre. PEL. PAS., AL. P., EG. MA DAME P89 Églogue à ma dame Afin de bien louer les dons Où vous avez chevance, Que mon pouce n' a les fredons Des poètes, honneur de la docte Provence ! P90 Ta bouche, sanguin piment, Douce comme le moût de première cuvée, Veut qu' on la sacre savamment, Ainsi que d' un Arnaud fait la rime approuvée. Puis il me faut, d' un son et très mignard et coint, D' une cadence vive, Telle de ce Jaufred que fine amour a point, Vanter tes crêpes crins, couleur d' huile d' olive. Tes yeux, dorés comme cédrat, -sagettes et blandice- Clament la pompe et l' apparat Des vers qui, dans le Montferrat Chantèrent Béatrice. Pour dire ta grâce et le teint Tien, le plus beau du monde, Que le bruit de ma voix n' atteint A ce Guillaume Cabesteint Qui aima Sorismonde ! P91 Mais pour que je me deuille, ainsi que je le doi, De la pitié qui n' est en toi, Il faudra que je creuse Le roseau divin, éclatant, Où le chèvre-pied souffla tant Sa fureur amoureuse. PEL. PAS., AL. P., EG. ELLE E. P93 Églogue à elle encore J' eusse pu me nourrir de miel Nouveau, pendant des mois, et bien que l' on prétende Que sa saveur trouble les sens, Je n' eusse été, certes, tant dépourvu de sagesse Que pour avoir, de ma lèvre, ah si peu ! Effleuré ta bouche, semblable au feu. P94 Bouche plus suave que le miel Au creux des ruches amassé, Bouche plus vive que les hauts pavots Parmi la prée, Accole, ô sa bouche, rebaise la bouche mienne, Que tout forcené je devienne ! Ainsi, amour dernière à mon coeur née, Par bois touffus et sente étronçonnée, J' irai, mené de mes fureurs errantes, Jusques au val où les eaux sont courantes, Et là, d' un saut, tôt me sera ravie Cette langueur de vous, avec la vie. Alors, peut-être, un dieu sylvain me changera En arbre dru, dont la verdure forte, Belle, t' abritera, Lorsque l' Auster moiteux les grêles nous apporte. Alors, la Cyprine, peut-être, De mon corps défunt fera naître Quelque haie aux jets éclatants, P95 Et sur le retour du printemps Je saurais encor te complaire, Fleur en ta tête claire. Peut-être, aussi, serai-je mué, Par celui qui son front pare d' une corne lisse, En roseau doucement remué : Pour bercer ton sommeil, au solstice. PEL. PA., AL. P., EG. FRANCINE P97 Églogue à Francine Ô Francine sade, cueille, De tes doigts si bien appris, La rose, moite en sa feuille, Le lys qui n' a pas de prix ! Des champs et des verts pourpris La fleurante nouveauté, Las, demain aura été. N' es-tu pas fleurante pomme, Ô Francine de renom, Et tant frétillarde, comme Tourterelle en sa saison ! Bientôt tu n' auras foison De plaisance, chef doré, Ni visage coloré. P98 Or, ainsi, belle Francine, Faisant nargue à vos foleurs, Sénestre je vaticine Toutes sortes de malheurs, En me couronnant de fleurs, Sifflant de pastoraux airs Dans mes chalumeaux diserts. PEL. PA., AL. P., EG. VERLAINE P99 Églogue à Paul Verlaine Pour avoir tant essoufflé des cornemuses Criardes, au fredon têtu, D' une mauve guide cent brebis camuses Ménalqu' de superbe vêtu. Maint bélier, et la profitable génisse Qui nourrit ses deux nouveaux-nés, Ornent l' étable de Mopse, si très nice À dire les chants alternés. P100 Thyrsis se rengorge d' une coupe ouvrée Des mains du noble Alcimédon ; Batte, opprobre de la montagne sacrée, D' un laurier de brigue eut guerdon. À toi, l' honneur des Lybéthrides agrestes, Abreuvé des parlantes eaux, Il ne sied prix que du son de tes doigts prestes Sur les disparates roseaux, Divin Tityre, âme légère ! Comm' houppe De mimalloniques tymbons ; Divin Tityre, âme légère ! Comm' troupe De satyreaux ballant par bonds. PELERIN PASSIONNE, GALATEE P103 " oublie, ô Cyclope, sauve tes voeux Du réseaux gracieux D' un regarder où tu te fis enclore. Déjà, sous un chef verdissant la source bruit, Déjà l' églantier se colore, Déjà l' arbre sylvestre porte fruit. Oh, pourquoi, Cyclope, en toi l' hiver encore Et que n' es-tu pressant les pis abondants De la génisse profitable ! Vois les taureaux mêler leurs cornes, entends Bêler tes brebis à l' étable. " Vieux Mélibée, ainsi tu parles. " les autans Soufflent malins aux tiges qui florissent, Maligne est la pluie aux épis qui mûrissent. P104 Et l' arc d' Eros, si les traits ne partent doubles, Blesse Soulas et liesse. Si la mare, au roseau, si l' onde pure, au peuplier Il faut Soupire-t-elle la palombe après le gerfaut, La carpe après l' hameçon ? Après le taon sonore, Soupire-t-il le boeuf ? ô Cyclope, oublie ore Dame qui n' a franchise. Sache plutôt, que le verger D' épices soit garni, ou qu' un feuillage étranger Ente l' antique tronc, et que dans la corbeille, Faite de baguettes de saule, et d' osier léger, Avecque soin le lait se caille. " Ainsi tu parles, vieille Cotytaris. Oublie ! Oublie ! Euh, foin De vos thriacles, bélîtres, botteleurs de foin. Langues radoteuses ! Qu' il ait Un bois retors et de mainte coudée Le front d' un cerf nouvelet, Que, badin, le cerf aux abois frappe L' herbe, d' un pas alterné, P105 Ou que, surpris, le chien du Ménale Par le lièvre soit mené ; Que l' homme amputé de sa dextre Tire l' épée à-deux-mains, Que le perclus vainque à la course Atalante aux pieds soudains, Que la mule rétive et la cavale Mâchent comme gingembre leur mors, Et qu' elle se rengorge, la taupe De deux yeux d' Argus : alors Lorsque vous aurez dit : oublie, oublie, ô Cyclope ! Vos bouches parleront selon leur nature de bouche, et Non Telle la peau d' un vieil onagre Qui raisonne au tympanon. Ô Mélibée, aussi, Ne disais-tu pas Chariclée En grief souci De ne voir, dans ma barbe mêlée, Le ruban, dont présent me fit, Par sa main, son coeur déconfit ? Ô Cotytaris, maquerelle, P106 Ta face rusée, en son pli Cèle et décèle ; Comme Corinne serait aise S' elle avait par mes travaux empli De lait, son tétin rose et fraise. Mieux que Corinne, sous la tunique détorse, Nulle n' a la cuisse potelée ; Couleur du cèdre dépouillé de son écorce Sont les cheveux de Chariclée. Corinne a les cheveux comme une lueur. Mais Galatée a tout mon coeur, Chariclé' bonne et doucette et tendre Baisse ses yeux de pierre aventurine, Telle la bacchante de Thrace sait s' étendre D' audace barbelée, Corinne. Chariclé' charme par sa pudeur, Mais Galatée a tout mon coeur, Galatée, mon beau souci, Dame, ma dame sans merci, P107 De ce coeur, telle la plaine féconde, M' allez-vous faire un coeur plus dénudé Que le bois par l' hiver émondé, Et plus stérile que l' onde. Galatée ! L' osmonde Joliette, L' aneth éclos à la matinale fraîcheur, la sarriette, L' ache, si ma main les cueille, Des ronces ne valent la feuille. Galatée ! L' ambre en chapelet, Le grenat semblable à la flamme, comme lait Les perles sitôt remuées, Prases, jaconces, si j' en veux Tresser vos boucles de cheveux, En roche bise sont muées. Chères mains à toutes grâces vouées, Dame douce ! Cette guerre cessez, Et de pitié (comme L' épine porte l' amome) Votre rigueur fleurissez. P108 Merci crié au vent, trop durable rigueur, Peu prisée amitié, coeur en vaine langueur Et dure embûche, Mon coeur plus vainement langoureux que l' oiseau Après le haut bocage, alors qu' en un réseau Son vol trébuche. Ses yeux si clairs, ses fosseleux souris, Son vaillant corps, son venir, son aller, Et les doux mots dont ell' sut me parler, Et le beau teint, de son âge le prix, Son teint si beau, comme rose en pourpris, Et qui la fais à Cyprine sembler : Dons sans guerdon ! Vous me deviez embler Valeur et l' heur en vos lacs entrepris. D' amour où n' est ni cautèle ni vice J' avais juré de vous faire service, Ô dame, hélas ! Las ! Félon à moi-même. L' eau, à la fin, la pierre drue perce, Mais non de vous la cruauté extrême Mes tristes pleurs, car trop m' êtes adverse. P109 Printemps et mai Ont parfumé Et val et plaine ; Zéphyr haleine. De-ci de-là ballent, farauds, Pastourelles et pastoureaux. Où trouver, las ! Trêve et soulas A ma grand' peine ? PEL. PAS., BOCAGE, UN TROUPEAU P113 Un troupeau gracieux de jeunes courtisanes S' ébat et rit dans la forêt de mon âme. Un bûcheron taciturne et fou frappe De sa cognée dans la forêt de mon âme. P114 Mais n' ai-je pas fait chanter sous mes doigts (bûcheron, frappe !) la lyre torse trois fois ? (bûcheron, frappe !) n' est-elle pas, mon âme, Comme un qui presse de rapides coursiers ? PEL. PAS., BOCAGE, LA PERSUAS. P115 La persuasion La persuasion habite sur tes lèvres, Jeune homme, et l' on Dirait que dans tes yeux se lève L' Ourse brillante, fille de Lycaon. L' épautre de Toscane, la myrrhe grasse et l' iris En vain font le col d' Aspasie un miroir ; En vain Plouto soupire, et tu te ris Du vieil Eumolpe et de son parasol en ivoire. P116 Car, jeune homme, de quelle herbe, de quelle fleur Du Phase ou de Tempé, De quel hippomanès d' une cavale en chaleur, Ta chasteté sera trompée ! PEL. PAS., BOCAGE, POUR CONSO. P117 Pour consoler Pour consoler mon coeur des trahisons, Je veux aimer, en de nobles chansons, Les doctes filles de Nérée : Glaucé, Cymothoé, Thoé, Protomédie et Panopée, Eumice aux bras de rose ; Eulimène, Hippothoé, P118 Et l' aimable Halie, et Amphitrite, à la nage prompte, Proto, Doto, parfaite à charmer, Et Cymatolège qui dompte La sombre mer. PEL. PAS., BOCAGE, GENTIL ESP. P119 Gentil esprit Gentil esprit, l' honneur des muses bien parées, La Tailhède, les bandelettes sacrées Ceignent ton front. Bien que tu passes parmi nous, Que la cendre à tes pieds de cette vie reste Comme aux flancs de Délos la mousse du Géreste, Ta soif s' étanche aux flots Dircéens, et d' un doux Murmure le laurier frémit quand tu parais, P120 Et sur le vil Python ta main vire les traits Indubitables, et tes voeux appendent des prémices Au bord de l' Acragas où meuglent les génisses. PEL. PAS., BOCAGE, LS FEUILLES P121 Les feuilles pourront tomber La rivière pourra geler ! Je veux rire, je veux rire. La danse pourra cesser, Le violon pourra casser, Je veux rire, je veux rire. P122 Que le mal se fasse pire ! Je veux rire, je veux rire. PEL. PAS., BOCAGE, JE SUIS LAS P123 Je suis las, si las Comment danser, hélas ! -mets des fleurs dans tes cheveux Et dansons, car je le veux. Je suis si triste, triste, Comment rire, hélas ! -qu' un marmouset pleure, Rions, car c' est l' heure. P124 Dormir est si doux, Que ne mourons-nous ! -ah, la mort, ah, n' est-ce Une menteresse ? PEL. PASS., BOCAGE, JE NAQUIS P125 Je naquis au bord d' une mer dont la couleur passe En douceur le saphir oriental. Des lys Y poussent dans le sable, ah, n' est-ce ta face Triste, les pâles lys de la mer natale ; N' est-ce ton corps délié, la tige allongée Des lys de la mer natale ! P126 Ô amour, tu n' eusses souffert qu' un désir joyeux Nous gouvernât ; ah, n' est-ce tes yeux, Le tremblement de la mer natale ! PEL. PAS. BOCAGE, QUE FAUDRA P127 Que faudra-t-il à ce coeur qui s' obstine ; Coeur sans souci, ah, qui le ferait battre ! Il faudrait la reine Cléopâtre, Il faudrait Hélie et Mélusine, Et celle-là nommée Aglaure, et celle Que le Soudan emporte en sa nacelle. Puisque Suzon s' en vient, allons Sous la feuillée où s' aiment les coulombs. P128 Que faudra-t-il à ce coeur qui se joue ; Ce belliqueur, ah ! Qui ferait qu' il plie ! Il lui faudrait la princesse Aurélie, Il lui faudrait Ismène dont la joue Passe la neige et la couleur rosine Que le matin laisse sur la colline. Puisque Alison s' en vient, allons Sous la feuillée où s' aiment les coulombs. PEL. PAS., BOCAGE, SAUVONS-NS P129 Sauvons-nous du souci d' un jour Théone, cédons à l' amour, Cédons à Vénus Cyprienne. Que le myrte à la verveine tors (d' autres diront la vie et ses torts ! ) Peinture tes cheveux que l' écaille hausse. -je dirai la vipère au bandeau Des femmes de la Thrace, et l' eau Sacrée de la fontaine de Tilfosse. P130 Fais ton corps docile au coussin, Ceinturée de perles indiques. -je dirai comme au doux essaim Des favones rouvrent leur sein Les gracieuses heures véridiques. PEL. PAS., BOCAGE, MOI QUE... P131 Moi que la noble Athène a nourri, Moi l' élu des nymphes de la Seine, Je ne suis pas un ignorant dont les muses ont ri. L' intègre élément de ma voix Suscite le harpeur, honneur du Vendômois ; Et le comte Thibaut n' eut pas de plainte plus douce Que les lays amoureux qui naissent sous mon pouce. P132 L' hymne et la parthénie, en mon âme sereine, Seront les chars vainqueurs qui courent dans l' arène ; Et je ferai que la chanson Soupire d' un tant ! Courtois son, Et pareille au ramier quand la saison le presse. Car, par le rite que je sais, Sur de nouvelles fleurs les abeilles de Grèce Butineront un miel français. ENONE CL. VIS., OFFR. AMOUR P138 Offrande à l' amour Favorise mes chants, ô amour, donne-leur De tromper, même un coeur prudent, par la langueur Du doux désir. Afin que tout divers mué, Que tout entier tu sois de ma verve rué ; (Apollon sur la lyre et Pan dans les pipeaux) Entre dedans mon sein, courbé sous les faisceaux De ces traits, artisans d' une charmante rage, Dont tu blessais Procris et Didon de Carthage. ENONE CL. VIS., I, ELLE A FINI P139 Elle a fini déjà, pour cette nuit, sa route, L' étoile qui d' aimer conseille. Hélas ! écoute, Ne me dis pas : pourquoi ce fol amour ? Jamais, Me reflammant le sang d' une coupable envie, L' arc ne sera tendu, ni encochés les traits. Si la lumière, vois, de l' étoile a baissé, Certes, c' est que le tiers des heures a passé. Non, non, ne me dis pas : pourquoi ce fol amour ? Jeune tige, pareille à ce noble palmier Que dans l' âpre Délos Ulysse vit un jour. P140 Laisse, laisse Cypris à l' horizon descendre, L' air est tout imprégné du pollen des fleurs tendres ; Ferme tes yeux aimés, Puisque l' ombre qui croît me les a dérobés. Apollon me chérit, et le fils de Mercure, Le bon Pan corne-bouc, de mon jeune âge eut cure. Dans le sacré Cyllène où les nymphes des eaux M' ont nourri, de ma main j' ai coupé maints roseaux : D' un art industrieux j' y sais feindre à merveille La cime des forêts, quand le matin l' éveille. ENONE CL. VIS., II, CE NE SONT P141 Ce ne sont pas ceux-là qui blessent ma pensée. Les membres délicats où tu es enfermée ! Ô énone, tu peux, semblable à cet oiseau Qui dessus le Taygète engendra les gémeaux, De grâce armer ton cou, armer ta bouche encore, Le poli de ton teint, riche et brillante aurore ; Ton oblique regard, de sa plus vive flamme : Je connais mieux ainsi la pudeur de mon âme ! ENONE C. VIS. III, QUE CE SOIT P142 Que ce soit en pleurant, enfin je l' ai connu Ce désir innocent qui de toi m' est venu. Ô visage divin qui commande l' amour, Et qui ne souffres pas que l' amour nous commande : Ô illustre vertu ornée de jouvente, Les doux rais de tes yeux me disent : vois ton coeur, La glace de ton coeur n' est plus que souffle et pluie ! ENONE CL. VIS., IV, LES BLES... P143 Les blés auront mûri sous le Cancer ardent Et Bacchus renaîtra de la grappe foulée, Les Hyades viendront, et viendront à leur tour Les funestes frimas que sème le Borée. L' eau s' égoutte à doux bruit, les près sont éclatants, À présent sont les jours messagers du printemps ; Diane encor ne guide une meute hardie, Philomèle soupire au plus haut des forêts, L' arc flexible de Cypre ébranle de ses traits L' éther, source de vie. P144 Ô Vénus, ô déesse amante du berger Qui menait sur l' Ida son troupeau étranger, Que ton enfant cruel et pourtant adorable Détourne de mes yeux sa torche déplorable ; Que, reprenant pour moi son visage ancien, Grave et tel qu' il sortit du germe ouranien, D' un prestige décent mon faible coeur étonne ! Dorée, tes desseins je ne les pus tromper : Une dernière fois tu me viennes frapper, Je ne me flatte plus, je brûle pour énone. ENONE CL. VIS., V, AUTREFOIS... P145 Autrefois je tirais de mes flûtes légères Des fredons variés qui plaisaient aux bergères Et rendaient attentifs celui qui dans la mer Jette ses lourds filets et celui qui en l' air Dresse un piège invisible et ceux qui d' aiguillons Poussent parmi les champs les boeufs creuse-sillons. Priape même, alors, sur le seuil d' un verger, En bois dur figuré, semblait m' encourager. Ma flûte ne sait plus, hélas ! Me réjouir, Mon coeur est travaillé de crainte et de désir. P146 Adieu, roseaux amis que savait pertuiser, Pour être les premiers, ma main ! Je veux creuser La tige du lotus ; s' il est vrai que sa fleur, En apaisant la faim, apaise la douleur Et fait à l' homme errant sur Neptune écumeux Oublier sa patrie et ses antiques dieux ; Lorsque j' y soufflerai, avecque mon haleine Peut-être envolera ma peine. ENONE CL. VIS., VI, L'EAU QUI P147 L' eau qui jaillit de ce double rocher Remplit ce long bassin d' une onde trépillante ; Les frênes, les ormeaux, où viennent se percher Linottes et serins, Lui font une voûte ondoyante Qui garde mieux qu' un toit De tuiles, lorsque ainsi Sirius pique droit. P148 Viens goûter la fraîcheur de cette onde secrète, Ô chère énone, jette Et tissus et bandeaux, ton esprit gracieux Cache à mes yeux De voile plus épais Tes corporels attraits. Énone, vous fuyez ! ô tourment, ô douleur, Ô malheureuse flamme ! Ô couverte pensé', trop perfide oiseleur De mon âme ! ENONE C. VIS., VII, SOEUR P149 Soeur de Phébus charmante, Qui veilles sur les flots, je pleure et je lamente, Et je me suis meurtri avec mes propres traits. Qu' avais-je à m' enquérir d' Eros, fils de la terre ! Eros, fils de Vénus, me possède à jamais. Guidant ta course solitaire, Lune, tu compatis à mon triste souci. Ô lune, je le sais, non, tu n' as pas, vénale, À Pan barbu livré ta couche virginale, Mais les feux doux-amers te renflammant aussi Par les yeux d' un berger dans sa jeunesse tendre Sur le mont carien tu as voulu descendre. P150 De ta douce lueur, ô Phébé, favorise Ma plaintive chanson qu' emporte au loin la brise, Et fais que mes soupirs, de l' écho répétés, Étonnent la frayeur des antres redoutés. ENONE... VIS., VIII, FIER PRINT. P151 Fier printemps Fier printemps ravisseur, que tu m' as abusé, Et quel faux semblant tu as mon coeur brisé ! L' hirondelle à présent sur la mer s' est enfuie, Le cri de l' échassier nous ramène la pluie ; Le prudent laboureur qui songe à ses guérets De la cognée abat dans les tristes forêts L' yeuse qui répand à terre son feuillage. Automne malheureux, que j' aime ton visage ! ENONE CL. VIS., IX, ENONE, ... P152 Énone, j' avais cru qu' en aimant ta beauté Où l' âme avec le corps trouvent leur unité, J' allais, m' affermissant et le coeur et l' esprit, Monter jusqu' à cela qui jamais ne périt, N' ayant été crée, qui n' est froidure ou feu, Qui n' est beau quelque part et laid en autre lieu ; Et me flattais encor d' une belle harmonie Que j' eusse composé' du meilleur et du pire, Ainsi que le chanteur que chérit Polymnie, En accordant le grave avec l' aigu, retire Un son bien élevé sur les nerfs de sa lyre. Mais mon courage, hélas ! Se pâmant comme mort, M' enseigna que le trait qui m' avait fait amant Ne fut pas de cet arc que courbe sans effort P153 La Vénus qui naquit du mâle seulement, Mais que j' avais souffert cette Vénus dernière Qui a le coeur couard, né' d' une faible mère. Et pourtant, ce mauvais garçon, chasseur habile Qui charge son carquois de sagette subtile, Qui secoue en riant sa torche, pour un jour Qui ne pose jamais que sur de tendres fleurs, C' est sur un teint charmant qu' il essuie les pleurs, Et c' est encore un dieu, Enone, cet amour. Mais, laisse, les oiseaux du printemps sont partis, Et je vois les rayons du soleil amortis. Énone, ma douleur, harmonieux visage, Superbe humilité, doux-honnête langage, Hier me remirant dans cet étang glacé Qui au bout du jardin se couvre de feuillage, Sur ma face je vis que les jours ont passé. SYLVES, L' EQUITABLE BALANCE P157 L' équitable balance a voué ma mollesse Longtemps à l' aquilon et les flots écumeux, Lorsque je ne savais entendre la prêtresse Criant : Enée, hélas ! Tu tardes dans tes voeux. Mais, pareil au Troyen, à présent je moissonne Les prophétiques dons du feuillage écarté, Et mon esprit prendra la charmante beauté D' un éclatant soleil amorti par l' automne. SYLVES, VIGILE DU POETE ROMAN P159 Amicale clarté du ciel, déesse triple, Phébé que réjouit la miche au pur levain, Astéri' dont le trait ne manque pas le cible, Hécate dont la corne est sacrée au devin ! Je n' ai pas dans le miel les dents du lynx dissoutes, Ni contraint l' aquilon à rabattre son bruit Je ne viens pas troubler ta course dans la nuit Ma bouche ne dit pas le chant que tu redoutes. P160 Vois plutôt sous ces bois couronnés de l' été Mon Erato, fervente aux fastes bucoliques, À songer qui élut la fraîche opacité Que baigne doucement la Marne aux bords obliques. Lune, veuille que l' or abondant ne me soit, Mais que la pauvreté n' habite pas mon toit ; Que si m' assaut l' adversité, d' un penser droit Mon âme la médite, et que la paphienne Ne m' arde pas soudain d' un brandon rigoureux Qui fit le perce-monts fileuse lydienne. Que ceux faussement peints ne m' abusent, qu' entre eux Je passe avec le coeur léger, ô bonne lune, D' un petit oiseau ! Car, dans mon sang chaleureux, De ton frère à l' arc d' or je porte la fortune. De la marche normande au pays angevin, Où la pomme est gaulée, où fermente le vin, Chacun eût estimé sa valeur importune De n' entendre ma voix et que fût empêché Mon plectre (honneur gallique) au luth trois fois Touché. SYLVES, LE RETOUR P161 Pétrée, chère tête ! Pareille au blond épi que la faucille guette ; Ô Pétréa, génisse indocile au servage, Moins douce est la saveur de la pomme sauvage Que ta bouche. Contre des hommes belliqueux que la trompette enivre, Mes bras tendirent l' arc d' aubier où la sagette vibre, Mais ils sauront aussi s' illustrer d' une lutte Plus bénigne, ô Pétrée, et j' appris les secrets Des pertuisés roseaux et de la curve flûte. P162 C' est temps nouveau quand de ses traits Diane n' ensanglante les forêts, C' est quand jouvence fait à dioné' service. Ô gracieuse enfant, que clairs et simples sont tes Yeux ! Déjà, l' astre de Bérénice Guide vers l' occident le bouvier paresseux. Pour que tu cèdes à mes pleurs, Ma main a dévidé des fils de sept couleurs. Chantant l' air redouté, J' ai répandu la cendre Des herbes de bonté. La voix du rossignol fait ton âme plus tendre, Et le favone agace, comblant mes voeux, La couronne de pin qui mêle tes cheveux. SYLVES, CONTRE QUELQUES-UNS P163 Il est qui se pensent savants Et de miel arrosés, parmi nos écrivants, Lorsque d' un vain propos leur subtilité farde Le véridique teint de leur humeur couarde. Ceux-là les peut-on voir D' un froncé sourcil pédantesque Vanter la Minerve tudesque Ou l' Anglais, de gravité l' hoir. P164 Toi qui mènes les muses grecques, Aux rivages de la Seine et du Loir, Afin qu' elles dansent avecques Les sylphes et les fées, aux sons De tes romanes chansons ; Si tu bois le vin doux des cornes libérales Et mêles tes cheveux de rains et de pétales, Tout docte au lyrique fredon, De ton esprit t' en fasses-tu délivre ! Du Plessys, tu ne vas maudissant le brandon Guerrier par qui Jupin donne honte et guerdon, Et tu sauras mourir ainsi que tu sais vivre ! SYLVES, A R... DE LA TAILHEDE P165 Laissons le rustre, l' immonde Ignorant dénier à notre Apollon le prix Des larmes, pour ce qu' il est si bien appris À couvrir de beauté la misère du monde. Rions-nous d' eux, mon Raymond, qu' un noble jeu Couronne de rameaux légers (comme des garçons bocagers) Nos coeurs pareils aux Cyclopes amis du feu. SYLVES, EMBLEME P167 Oublie le roseau qui charme les dryades, Arme-toi de tes franches couleurs ; Attelle d' un bras sûr les cavales ailées Au char rapide, et prends la lance niellée Avec les forts maillets les cuirasses rompants. Que tu te plaises à combattre avec des coupes ! Laisse couler le vin, laisse passer les troupes Ballantes des satyres et des Pans. P168 Si quelques-uns parmi les rivaux que tu nargues Sont de la race belliqueuse des loups, Le plus grand nombre est mal-rusé comme renardes ! Aussi de hardement prompt sois-tu et t' avise D' un bouclier où la devise Montre les grands travaux d' Hercule Ou le cornu dragon illustre aux bords de Loire, Car il n' est honte nulle À qui par bien gaber clame juste victoire ! Et le labeur est bon s' il se doit guerdonner De la faveur de celle Par qui la lyre au thracien sonner Tirait les arbres après elle. Jadis d' un triple tour l' olivier de la Grèce Et le laurier latin, Pour prix de ses vertus ont couronné sa tête, Mais c' est le lys français qu' elle attend de ta main. SYLVES, LA DRYADE A PAN P169 De rendre Maurice Du Plessys à la santé Illustre pied-de-bouc, Pan de vert couronné, Fais que mon Du Plessys me revienne gaillard, Car sur tous il sait bien chalumer avec art Et son bruissant luc sur tous est bien sonné. La peau de ton rival, Pan, tu auras pour prix, Si tu me rends bientôt cette bouche à fredon, Qui fait taire d' un coup, dans mon bois de Meudon, Du satyre outrageux le rebec mal appris. SYLV., AEMILIUS, L'ARBRE ... P171 Aemilius, l' arbre laisse la verte Couleur, et le lustre s' efface Des roses, dessus leurs faces ; Et pour les rossignols, dans leurs hautes demeures, Amour ne file plus les heures ; Et de son vol, pour rien, bat le gel des fontaines L' oiseau, qui Jupiter muant en forme vaine, D' Ilion douloureuse engendra le brandon- Quand vient sur la forêt l' extrême automne. P172 Hélas ! Déjà l' été décline sur ma tête, Et cette automne qui s' apprête Viendra bientôt sur moi, comme sur la forêt. Ains, de mes jeunes ans, ami, je n' ai regret ; L' étoile de Cypris dans mon coeur ne se couche, Et d' un doux regarder si je dis les réseaux, C' est un zéphire enfant qui toujours par ma bouche Fait chanter mes roseaux. SYLV., TETHYS QUI M'AS VU ... P173 Téthys qui m' as vu naître, ô Méditerranée ! Quinze fois le Taureau nous ramena l' année, Depuis que, par ton zèle exilé de ton sein, Ton aimable couleur à mes yeux fut ravie. Certes, mon âme est forte et brave est mon dessein, Et rapide est mon soc dans la trace suivie : Et jà ma bouche a su entonner l' aquilon Avecque l' Euménis, dans l' airain d' Apollon, P174 Car, enfant, j' ai mâché, d' une fureur avide, Le rameau Pénéan, de tes embruns humide. Mais du fils d' Oïlée ou d' Hector la valeur Un instant elle fault : et parfois mon courage (toujours la pique au poing ! ) médite la douceur Que je m' accoude un soir pleurant sur ton rivage Tandis que, sur tes flots où Diane a versé La stérile lueur de son flambeau glacé, Le cri de l' alcyon ne cesse de s' accroître... SYLV., OUI C' EST AU SANG LATIN P175 Oui, c' est au sang latin la couleur la plus belle, Les plus riches moissons sont toujours à Cybèle, Et toujours la victoire, amante des combats, Sera forgé' pour nous des Cyclopes nu-bras, Que notre voix obtienne, Des mains de Chrysaor, La foudre olympienne : Sur nos luths veille encor La vierge athénienne, Pallas au casque d' or ! P176 Si pour l' impie obscur oncque ses feux ne vivent, Pour nous, ses attentifs, Jette un éclat plus vif Vesta qui règne sur le Tibre. SYLVES, A CHARLES MAURRAS P177 Pestum qui deux fois l' an voit naître et mourir Adone, Lucrétile agréable qui bruit encor Des vers latins chantés sur la lyre de Lesbos, Hybla qui nourrit ses abeilles de la fleur Du saule, Ustique où le faune léger, du lycée fuitif, Écarte de la chèvre et de son époux odoreux L' été et l' austre ; P178 Ni la rive abordé' de la troyenne proue, Ni l' ombreuse Tibur, et ni l' heureux coteau Où, charmé sous la voix du cygne de Mantoue, Tel la source au cheval parla le Mincio, Ne surent plaire au coeur des muses et des grâces Ainsi que tu le fais, ô dorée Provence ! Jaufred, Arnaud Daniel Au style doux comme miel, Pierre qui sentis la darde De la belle Nesmengarde, L' autre Arnaud qui n' eus soulas De la dame de Bourlas, Bernard, Anselme, Folquette Qui capucin te rendis, Et Raimbaud que de Phanette Rimas en aubes et dits : Votre vertu, de l' arbre du Pénée, Aux champs d' Elise soit à jamais couronnée, Aimables provençaux par qui sut bien les sons, Mignardement sonnés, des jeux et des tensons, P179 En pays champenois, le grand Thibaut, mon maître. Sur tes grèves conduit paître Protée encor son troupeau, Ô Provence qui vis naître Et Pontopore et Spéio, Et la belle Galatée, Et Mélite au doux souris, Filles que du dieu Nérée Eut la princesse Doris. Rivage heureux, si la Parque me file Des jours d' amertume trempés, Alors que les épis stériles Auront mon attente trompé, J' irai vers toi ; à l' heure où la cyprine Vesper ramène la fraîcheur, Couché dessus l' herbe marine, J' appellerai le sort de Glaucque le pêcheur. SYLVES, D' UNE INGRATE DOULEUR P181 D' une ingrate douleur ayant les traits souffert, Devant l' été des ans j' en ai touché l' hiver. Mais ma verve, pareille aux eaux du noble Alphée, Se mêle au flot mondain sans en être altérée, Et par toutes les fois qu' aux cordes j' ai tenté (pour que rougisse enfin l' affreuse nudité D' un impudent chanteur), j' ai caché mes blessures Sous le beau teint des fleurs noué' s en sertissures. SYLVES, LA GLEBE S' AMOLLIT P183 La glèbe s' amollit et cède au doux zéphire : Jà l' alouette tirelire, Et la source s' accorde aux tuyaux du pasteur. Ô printemps agréable, Lorsque tu fleurissais au milieu de mon coeur, Je n' avais pas souci du déclin des Pléiades. Que tu reviennes or' sur leur tige à requoi Les roses odorer, et reverdir les arbres : C' est le tardif safran qui seul s' ouvre pour moi. SYLVES, AMOUR DEPUIS CES SOIRS P185 Amour, depuis ces soirs que parfume l' été, Tire l' arc contre moi d' une grand' cruauté. Les plus sages conseils, Clarisse, sont déçus. À peine de mes yeux tes yeux sont aperçus, Je brûle comme fait la torche secouée. Sentant bon les onguents, et la taille nouée De pourpre, et d' or le cou, viens... mais non, tu Serais Sans ceston ni collier encore plus parfaite ! Arrange tes cheveux sur le haut de ta tête... Le seul fard de l' amour embellira tes traits. SYLVES, LES ARMES DES DIEUX P187 Muses de France, soeurs, ô troupe bienheureuse Qui habitez les bords de ma Seine amoureuse, Le rustre au barbare parler Dans vos antres l' écho ne viendra plus troubler : Aux mains de Du Plessys le tambourin de Nisa sonne. Qu' il soit percé, Python mal embouché ! Dessus l' enclume de Vulcain, traits il façonne. Mars de son même casque l' a paré, P188 Ceint de ses clefs le veut fortune ; Il porte le trident du valeureux Neptune, Et le bâton noueux Par qui les monstres mi-chevaux reconnurent Alcide. Et, riant de l' effroi de ces fuyards honteux, Opprobre du Parnasse, il agite sur eux De Jupiter tonnant l' épouvantable égide. SYLVES, ROMANE JUVENILE FLEUR P189 Romane juvénile fleur, vous m' êtes témoin Comme dispos et droit et simple J' ai mis mon soin, D' un arc qui frappe au loin À purger des monstres le Pimple. Mais puisque déjà par notre art Se répondent Pindare et Thibaut et Ronsard, Puisque Pégase fait, pour accorder nos lyres, Naître un nouveau surgeon sous son sabot gaillard, Quelle cure à nos mains d' écorcher les satyres ? P190 Qu' ore Sonne le chant qui les Gaules décore ! D' une audace familière, Vous voyez toujours vainqueurs, Et vous couronnez le lierre Au pentathle des neuf soeurs. A Troade la hautaine, Roland baron capitaine Qu' il y joute à la quintaine ! L' Alphé', le Tibre mêlez À cette amoureuse Seine, Faites qu' au bruit de l' aveine Où vous savez bien souffler, Le gentil Auberon, par les tardes soirées, Mène danser au bois les filles de Nérée. Portez Phébus au coeur, en votre esprit, Pallas ! Car, dans l' arène où le lâche recule, Je veux montrer le poing illustre d' Iolas Guidant le char d' Hercule ! SYLVES, LE SANG DE MON COEUR P191 Le sang de mon coeur, d' une goutte, Peut du glacé Strymon faire fumer la route. Io ! L' arc qui frappe au loin se bande et tonne : D' être à nouveau percé le noir python s' étonne. Io ! Dodone, ton sommet S' éveille en Vendômois ; aux rivages de Seine Courent les feux que Diane allumait Sur la montagne lycienne ! SYLVES, ORE QUE DESSUS MA TETE P193 Ore, que dessus ma tête, Saturne ennemi tempête ; De ces innocentes mains Clothon, du destin instruite, Qu' active file la suite De mes conforts toujours vains ! Sur le luth je ne dirai, Homme de mauvais courage, Mon ennui, ou d' un outrage Dépit je ne me plaindrai. Plutôt, d' une ardeur qui passe Thèbes, Ascrée et la Thrace, P194 Je sonnerai sons si hauts Que les neuf soeurs étonnées, Fuyant le Pimple et Pénée Et de Pégase les eaux, Feront bruire en la France Parlantes, dessous ma voix, D' une amoureuse cadence, Les prés, les antres, les bois. SYLVES, ALCINOÜS ET RHODOPE P195 Que tu montes au ciel douce et brillante, ô lune, Ce n' est plus le printemps, c' est l' automne importune ! Le vigoureux été, le printemps florissant Emportent avec eux mon amour languissant. Le feuillage est tombé, l' hirondelle est partie, Ah, viens plus près de moi, Rhodope, je te prie ; Un zéphyr amoureux, de ta bouche soufflé, Me fera souvenir des beaux jours de l' été, Et je pourrai tromper le temps et ma tristesse En admirant tes seins que hausse la jeunesse. SYLVES, L'AUTOMNE OU LES ... P197 Hier j' ai rencontré dans un sentier du bois Où j' aime de ma peine à rêver quelquefois, Trois satyres amis ; l' un une outre portait Et pourtant sautelait, le second secouait Un bâton d' olivier, contrefaisant Hercule. Sur les arbres dénus, car automne leur chef À terre a répandu, tombait le crépuscule. Le troisième satyre, assis sur un coupeau, De sa bouche approcha son rustique pipeau, P198 Fit tant jouer ses doigts qu' il en sortit un son Et menu et enflé, frénétique et plaisant ; Lors ses deux compagnons, délivres se faisant, De l' outre le premier et l' autre du bâton, Dansèrent, et j' ai vu leurs pieds aux jambes tortes, Qui, alternés, faisaient voler les feuilles mortes. SYLVES, PHYLLIS PRINCESSE ... P199 À tes pieds les flots expirent, ô princesse, Ô malheureuse fille du Thrace Sithon, les flots vont et viennent sans cesse, Mais à leur retour encore manquent Les blanches voiles de celui qui toujours Portait les dieux dans sa bouche parjure. Les traits de Vénus étaient doux à ton âme Quand la bouche de ton amant en pansait la blessure, Et maintenant tes plaies sont fontaines de flamme Qui de l' Hèbre glacé font un autre Phlégéthon. P200 Pleure sur ton hymen aux sinistres auspices, Et ne t' excuse plus de l' espérance, vois, Depuis que, pour partir, il eut les vents propices, La lune a complété son disque quatre fois. SYLVES, DEESSE AUX YEUX D' AZUR P201 Déesse aux yeux d' azur, Minerve glorieuse, Tritogéni', Pallas, pudique, ingénieuse, Protectrice Athéné qui maintenant habites Où ma Seine, en flottant, sa course précipite, Fais que l' intègre voix qui de ma lyre sonne, Ayant vaincu le temps, d' âges en âges donne Aux femmes la douceur, aux hommes un coeur pur. Ainsi je te salue, ô vierge aux yeux d' azur. ERYPHILE P207 Suivant la docte trace Du Mantouan fameux qui m' a nourri de sa grâce, Sur le Styx odieux et l' Achéron avare, Ériphyle, je viens au fond du noir Tartare. Ne me dédaigne pas, mâne charmante, laisse Brûler devant mes yeux ton antique tristesse, Et tes larmes couler dans mon esprit pieux, Comme en un vase pur un baume précieux. " essence pareille au vent léger, " j' erre P208 " depuis que la vie a quitté " mon corps. " mais les souillures et les maux du corps, " la mort ne les efface. " ainsi, écoute : le souci " d' une ceinture dorée " ne m' a vaincu' comme l' ont conté " des bouches abusées ; " mais c' est Cypris aux crins dorés, " déesse des trophées. " mon époux, c' était un héros, " il était fils d' Oïclée ; " il avait ramé sur le navire Argo " à côté de Thésée. " de Phébus aux longs traits, d' Apollon " il était augure ; " mais sa barbe était à son menton " chenue et dure. " et l' autre quand il vint, il était P209 " dans sa jeunesse tendre ; " sur sa joue à peine un blond duvet " commençait à s' étendre. " le tambour bérécynthian " n' emporte l' âme " comme faisait sa voix disant : " les dieux vous gardent, noble dame. " alors je sentis que ma pudeur " etait la feuille tombée, " et mon désir semblable à la fureur " rapide de Borée. " ô jeunesse, tes bras " sont comme lierre autour des chênes " mais la vieillesse, hélas ! " est une foule d' ombres vaines. " Elle dit, puis se tait, déçue en son courage. Tel un coursier rétif qui soudain prend ombrage, Ta mémoire recule, ô spectre épouvanté, Et jamais de ta bouche il ne sera conté P210 Qu' un fils, pensant venger ton amour adultère, A souillé de ton sang la terre nourricière. Au séjour de Minos et d' Eaque inflexibles, Ô femme, tu n' as plus tes membres corruptibles, Ces yeux porte-lumière et l' épais de ces tresses, Ces délicates mains, délices des caresses. Maintenant de l' amour ta tendresse divine Décrirait un vain cercle autour de ta poitrine. Mais du bras d' Alcméon la parricide offense Trouve tangible encor ta trompeuse apparence. Ainsi frappe le coin une yeuse abattue Au profond des forêts pour former la charrue. Hélas ! Mortels, fuyez comme un port dangereux Les perfides conseils d' un soin ambitieux. Que diverse est la chance et l' attente peu sûre, Alors que nous passons la commune mesure ! D' un coeur jamais surpris la sage volonté Ressemble ce beau char qu' un bras adextre guide, Mais l' aveugle courroux, comme un taureau stupide, Souvent manque le but et s' élance à côté. P211 Ô ma muse, quittons ce fleuve et ces campagnes, Et Pluton, et les soeurs que l' on n' ose nommer, Et que cette ombre enfin rejoigne ses compagnes Qui sont mortes d' aimer. Je vois la triste Phèdre, innocente et coupable, Myrrhe qui consomma son désir exécrable, D' un funeste présage Aglaure déchirée Et Canacé, épouse et soeur de Macarée, La reine de Lemnos, qui brûla pour son hôte Le parjure Jason, l' intrépide Argonaute, Héro, Laodamie, Hermione, Eurydice, Cydippe, prise aux lacs d' un fatal artifice, Procris au tendre coeur, jalouse de l' aurore, Hypermnestre, Evadné, cette Phyllis encore, Et la sage Didon, que le pieux Enée Pour obéir aux dieux avait abandonnée. Comme ce pâle essaim de malheureuses ombres, Du Styx au triple tour couvrant les rives sombres, Au penser doux-amer de son ancien martyre P212 S' agite tristement et doucement soupire ! Ainsi par un beau soir, au milieu de la plaine, La tige que le vent bat d' une tiède haleine. Grand honneur mantouan, harmonieux Virgile, Telle sur son passage une onde au cours tranquille Favorise les plants de son humeur nourris, Telle la docte voix de ton plectre rendue, D' âge en âge épandue, Elève la vertu des intègres esprits. Et toi Dante qui sus, égalant les antiques, Hausser le faible essor de tes muses gothiques, Tant tu avais le coeur de Calliope plein, Dans la grave douceur de tes divines rimes, Du grand Parnasse saint tu gravis les deux cimes Pour chercher le chemin du paradis chrétien. Ô mes maîtres chéris, à vos leçons docile, J' osai faire parler les mânes d' Eriphyle ; Veuille donc, Apollon, illustre entre les dieux, Renflammer tout soudain ma fureur languissante. P213 Que sur le luth français j' accorde pour vous deux Les paroles que dit dans la cité dolente, En langage toscan, le plus jeune au plus vieux : Ô fonts de poésie, ô pères, fameux sages, Ô des autres chanteurs ornement et clarté, Soutenez ma faiblesse et que me soit compté Le désir qui m' a fait rechercher vos ouvrages. SYLV. NOUV., PLAINTE D' HYAGNIS P217 Substance de Cybèle, ô branches, ô feuillages, Aériens berceaux des rossignols sauvages, L' ombre est déjà menue à vos faîtes rompus, Languissants vous pendez et votre vert n' est plus. Et moi je te ressemble, automnale nature, Mélancolique bois où viendra la froidure. P218 Je me souviens des jours que mon jeune printemps Ses brillantes couleurs remirait aux étangs, Que par le doux métier que je faisais paraître Dessus les chalumeaux, Je contentais le coeur du laboureur champêtre Courbé sur ses travaux. Mais la Naïade amie, à ses bords que j' évite, Hélas ! Ne trouve plus l' empreinte de mes pieds, Car c' est le pâle buis que mon visage imite, Et cette triste fleur des jaunes violiers. Chère flûte, roseaux où je gonflais ma joue, Délices de mes doigts, ma force et ma gaîté, Maintenant tu te plains : au vent qui le secoue Inutile rameau que la sève a quitté. SYLV. NOUV., ASTRE BRILLANT P219 Astre brillant, Phébé aux ailes étendues, Ô flamme de la nuit qui croîs et diminues, Favorise la route et les sombres forêts Où mon ami errant porte ses pas discrets ! Dans la grotte au vain bruit dont l' entrée est tout Lierre, Sur la roche pointue aux chèvres familière, Sur le lac, sur l' étang, sur leurs tranquilles eaux, Sur leurs bords émaillés où plaignent les roseaux, P220 Dans le cristal rompu des ruisselets obliques, Il aime à voir trembler tes feux mélancoliques. L' injustice, la mort ne dépitent les sages ; Aux yeux de la raison le mal le plus amer N' est qu' une faible brise à travers les cordages De la nef balancée au milieu de la mer. Et mon ami sait bien que le vert ne couronne La ramée toujours, mais ni toujours l' automne ; Que c' est des jours heureux qu' il faut se souvenir, Que même le malheur, comme humain, doit mourir. Or le dessein plus fier, la plus docte pensée, À la quenouille où est la Parque embesognée Se prennent comme mouche aux toiles d' araignée ! Ô hélas ! Qui pourra que les étés arides Ne viennent aux jardins sécher les fleurs rapides, Que le funeste hiver, son haleine poussant, Ne fasse du soleil un éclat languissant ; Que sous le tendre myrte à la rose mêlé P221 L' agréable plaisir n' aille d' un pas ailé, Ou que le temps aussi, d' un vol plus prompt encore, Sur nos têtes ne passe et ne les décolore ! Phébé, ô Cynthia, dès sa saison première, Mon ami fut épris de ta belle lumière ; Dans leur cercle observant tes visages divers, Sous ta douce influence il composait ses vers. Par dessus Nise, Eryx, Scyre et la sablonneuse Iolcos, le Tmolus et la grande Epidaure, Et la verte Cydon, sa piété honore Ce rocher de Latmos où tu fus amoureuse. Puisque douleur le point et l' ennui de tristesse, Ne l' abandonne pas, toi sa chère déesse, Allège son souci, que dans son âme passe Cette éclatante paix qui règne sur ta face ! Alors ses chalumeaux, en leurs rustiques sons Hardis surmonteront les antiques chansons Des cithares et luths, des poètes et pères P222 Qui les yeux ravissaient des monstres et cerbères ; Car de ton frère archer la prophétique rage Qui agite les rains du pénéan feuillage, Jamais enfant mortel ne la porta si forte Comme mon ami doux dedans son coeur la porte. SYL. N., A MAURICE DU PLESSYS P223 Une même fureur n' agite tout poète, Combien qui sont faconds ont la bouche muette ! La plupart sont chétifs et rampent bassement Aux arbrisseaux pareils ; quelques-uns seulement, De naturel bien né, sans ruses et sans peine, Passent incontinent cette commune voix : Tel un chêne élevé qui par-dessus le bois Elance dans l' azur sa cime aérienne. Ami cher, si le dieu qui confond l' ignorance, Phébus qui m' a nourri dès la première enfance P224 M' a bien prophétisé que c' est du labeur tien Que Permesse courra sur les françaises rives, Et si tu es toujours amoureux du lien Que forme le laurier avec ses tresses vives, La sainte poésie, et de jour et de nuit, Soit en toi comme un feu qui dans un chaume bruit. De l' aveugle qui dit le courage homicide De ce divin guerrier, fils de la Néréide, Du vieillard de Téos et du thébain Pindare ; De ce magicien que Mantoue a vu naître, De ce Toscan pensif qui au fond du Tartare Suivit encor vivant la trace de son maître, De Ronsard qui Vendôme et la France décore, De ce Sophocle, honneur de la Ferté-Milon, De celui, bien appris, qui dedans la Champagne Tira Pinde, Dodone et le sacré vallon, Et du charmant Chénier dont deux fois je m' honore : Nouveau Mercure, ayant pour ta verge brillante Un plectre harmonieux, assemble et guide encore Les substances qui sont sur la lyre volantes. SYL. N., EPITAPHE DE VERLAINE P225 Et qu' importe à mes vers ta vie et ses alarmes ! Qu' importe le trépas ! Apollon est guerrier : Je ne répandrai pas de misérables larmes, Poète, sur ta tombe où fleurit le laurier. La forêt tour à tour se pare et se dépouille ; Après le beau printemps, on voit l' hiver venir ; Et de la Parque aussi la fatale quenouille Allonge un fil mêlé de peine et de plaisir. P226 Comme une eau qui, tombant d' une montagne haute, De rocher en rocher se brise à l' infini, Ainsi le coeur humain est brisé, quand la faute L' a roulé sur lui-même et l' a de Dieu banni. Mais le chantre divin tombe et se précipite Jusques au plus bas lieu pour gagner les sommets : Aux noces de Cadmus les Grâces l' ont prescrite, La règle que son coeur ne transgressa jamais. SYLVES NOUV., A ERNEST RAYNAUD P227 L' éther n' est pas toujours du zéphyr rafraîchi, De violente ardeur l' été le brûle aussi, L' hirondelle le quitte, et les plaintives grues, Compagnes du Notus, y ramènent les nues, Et l' aquilon cruel y sème les frimas ; Puis encor les saisons reviennent sur leurs pas. Telle du mal au bien, de la joie à la peine, Passe la vie humaine. P228 Ah ! Que peu de support ont les faveurs d' un jour Du bonheur désirable ! Mais le triste malheur n' est pas au misérable Moins volage à son tour. Raynaud, parmi les biens réservés à la terre Notre partage est le plus beau, Puisque, sur son métier, la Parque ménagère Nous a filé l' amour de ce rameau Stérile seulement au penser du vulgaire. Un autre, à chaque coup surpris ou rebuté, Remontre à la Divinité Sur l' ordre convenable et l' effet ordinaire ! Fuyons ce vice, ami : que l' intègre beauté Pénètre notre esprit avec tranquilité, Ainsi que l' eau reçoit un rayon de lumière. SYLV. NOUV., PROSERPINE ... P229 Dans ce riant vallon, cependant que tu cueilles La douce violette aux délicates feuilles, Ô fille de Cérès, hélas ! Tu ne sais pas Que le sombre Pluton poursuit partout tes pas. Il ne supporte plus d' être nommé stérile, Car Vénus l' a blessé soudain des mêmes traits Dont elle abuse, au fond des antiques forêts, La race des oiseaux et le beau cerf agile. P230 Entends les cris du dieu ! Sous son bras redouté Se cabrent les chevaux qui craignent la clarté, Rompant sous leurs sabots et roseau qui s' incline Aux marais paresseux que nourrit Camarine. Dans ses grottes gémit Henna, mère des fleurs, Et Cyane ses eaux fait croître de ses pleurs. Parmi les pâles morts bientôt tu seras reine, Ô fille de Cérès, et Junon souterraine. Ainsi, toujours la vie et ses tristes travaux Troubleront le néant dans la paix des tombeaux, Et désormais en vain les ombres malheureuses Puiseront du Léthé les ondes oublieuses. Source: http://www.poesies.net